vendredi 9 avril 2010

rendre à césar... part II.

[...] Et ce matin là tu te réveilles, étonnée d'avoir réussi à dormir. Tu ne petit-déjeunes pas, tu prends une douche et au passage tu fais une croix sur la bande annonce de la naissance, de la parfaite naissance qu'on t'avait raconté... pas de "oh chéri je perds les eaux!", pas de flaque, pas de "clac", pas de "oh oh!!! je crois que j'accouche"... tu sais qu'aujourd'hui tu vas accoucher parce que c'est noté dans ton agenda et dans celui de l'obstétricien. Pour autant tu te dis que ça va être magique quand même, au moins ça t'enlève cette petite peur intime que le papa ne soit pas là à temps pour te couvrir de louanges et pleurer à chaudes larmes sur le bébé tout neuf... tiens! en parlant de Neuf, c'est à 9:00 que tu as RDV , alors il ne faut plus traîner. Tu prends une dernière photo sous laquelle tu écriras "avant de partir à la maternité" dans l'album que tu feras probablement.
A 9:30 on t'installe dans la salle d'accouchement, dans la pièce d'à côté une maman crie, elle va recevoir son bébé bientôt c'est sûr, et crois moi à ce moment là tu as envie d'arracher ta perfusion et de courir, le plus loin possible. Et tu lis dans le regard de ton amoureux qu'il est à deux doigts de faire de même. La sage femme te pose la poche d'ocytocine et te déclare bouche en cœur, "oh! à 12-13 heures il sera là ce bébé!" (Elle a même ajouté "allez! j'envoie la sauce!" ce qui m'a fait rire: je ne m'attendais pas à entendre ça en salle de naissance.)
Au début toi et lui vous êtes dans les starting-blocks , le monitoring fait de grandes courbes et vous avez bien répété les positions, les respirations... coussin d'allaitement bien calé, brumisateur en main, vous êtes prêts.
Deux heures plus tard, le monitoring fait toujours des bonds réguliers, toi tu ne sais pas pourquoi, tu n'as pas mal pour autant. Lui, il a lu trois fois son teknikart et c'est pas tout ça mais il commence à avoir la dalle... il est 12:30 et toujours pas de bébé en vue, d'ailleurs toujours pas d'accouchement en vue non plus... ton col est toujours à 1,5. La sage femme vient de moins en moins souvent, tu te demandes si elle t'évite ou quoi... un peu plus loin tu entends un nouveau bébé qui crie pour la première fois et les encouragement dans une autre salle... ça te fait penser à cet épisode de friends où Rachel accouche... finalement tu envoies ton chéri manger un morceau parce que tu en as marre de le voir grignoter des snickers en douce. De toute façon c'est pas parti pour se précipiter.
Quand il revient, les contractions sont devenues douloureuses. La sage femme te dit "ah bah ça y est le produit fait effet" maintenant que c'est lancé ça ne s'arrêtera plus. Tu touches du doigt le film que tu t'étais fait: t'as mal, mais tu gères bien. Ton chéri se fait discret mais ne tombe pas dans le pommes et tu sens l'effervescence poindre. Tu te dis que le plus dur reste à faire et le plus beau reste à vivre et tu te rappelles des paroles de ta mère "quand il est là tu ne te souviens plus de la souffrance, tu vas voir... mais je vais pas te mentir: ça fait mal." Le mal joli... pour le moment tu ne t'en plains pas, pour un peu t'aurais presque l'impression que la douleur s'estompe vraiment. Tu te dis qu'en effet ça a vaguement l'air de grosses douleurs de règle, mais alors grosses quand même.
Une heure plus tard tu es assise sur la table d'accouchement et tu te marres avec chéri... les contractions se sont arrêtées, oui finalement parfois le travail s'arrête... on te dit que tu es un cas d'école. A ce moment là tu sais, tu sens, que quelque chose est anormal, tu sais que tu vas avoir une césarienne... si seulement tu avais un couteau tu te la ferais bien toi même tellement tu t'emmerdes, oui: tu t'emmerdes. Tu penses avoir touché le fond quand le monitoring fait un bruit moins régulier... tu comprends que ton bébé a le cœur qui fatigue, tu ne dis rien, tu ne veux pas alarmer ton amoureux qui, lui, regrette de ne pas avoir un jeu de tarot pour faire une crapette... Tu lui proposes de mettre cet album sur le lecteur cd, ça sera mieux avec de la musique...
à la fin de l'album, toujours pas de bébé. Toujours pas de travail.
On te pose une seconde poche en te disant que c'est la première fois qu'on fait ça de sa carrière -15 ans de carrière- on te dit qu'on va faire venir l'obstétricienne de garde, parce que là il est 19 heures et que ça commence à être bizarre.
Elle lit dans ton regard que tu as peur pour le bébé et que tu es épuisée. Elle sait aussi que tu n'avais pas vraiment envisagé une césarienne. Elle te dit "on se laisse une heure et on se décide". Toi tu sais que c'est tout vu. Tu regrettes d'avoir fait l'impasse sur le chapitre "complications" et celui-ci te revient en vrac, comme il t'as été donné.... mort né, handicap, manque d'oxygène, césarienne. Tu tombes dans un trou, comme dans les cauchemars au cinéma. Une heure plus tard on te rase, on te déshabille, on se dépêche en faisant bien attention de ne laisser transparaître aucune inquiétude... toi, tu répètes qu'il faut expliquer à ton amoureux, qu'il va flipper... et t'as raison: il flippe à mort. Il est devenu beige de trouille. On vous emporte en salle d'opération, on te pose une rachi-anesthésie: tu perds le bas de ton corps, tu pleures, tu es devenue une marionnette... de l'autre côté du champ on te dit "ne vous inquiétez pas, vous allez entendre un bruit d'aspiration, et il sera avec nous, tout se passe bien". Tu ne t'inquiète pas non, tu as juste l'impression que tu vas mourir. Petit bruit bizarre. Petit cri. Et voilà ton bébé qui "passe la tête" au dessus du champ...
Tu trouves qu'il ressemble à ton frère, mais à peine tu as posé les yeux sur lui qu'on l'emmène avec ton amoureux. Tu pleures silencieusement. Les gens viennent te féliciter un par un et tu trouves ça à la fois adorable et frustrant. On te recoud. On te parle pour ne pas que tu tournes de l'œil avec toutes ces émotions. Et puis ils reviennent, ton bébé est dans les bras de son père, il te pose sa tête dans ton cou, tu ne peux pas le prendre dans tes bras pour le moment ... tu demandes 14 fois si il va bien, on te dit que tout va très bien. Cette fois ci tu pleures de bonheur et tu goûtes à une sensation nouvelle, une sensation sans nom.
Tu es recousue maintenant, on enlève tout le matériel chirurgical, on te pose sur un brancard et avant de sortir du bloc la sage femme arrête tout le monde. Elle demande qu'on pose le bébé sur ton ventre. Enfin. Tu n'osais même pas le demander.
Tu sens cette boule chaude sur toi et en même temps que tu savoures le moment tu te réjouis de pouvoir sortir du bloc "comme toutes les mamans" avec ton bébé sur le ventre.
On vous laisse tous les trois dans une salle d'accouchement pendant deux heures. Tu peux souffler, c'est fait. Tout le monde est là et en forme. Pour le moment tu es dans la joie... tu ne te doutes pas de la tristesse qui t'attend.
à suivre.

16 commentaires:

  1. Un témoignage d'une intense émotion.
    Je n'ai pas eu de césarienne, mais "juste" un mauvais déclanchement mal vécu.
    C'est si juste ce que tu décris. Cette solitude interne cette détresse... et cette joie.
    La sensation sans nom si complexe...
    Emilie ce texte est merveilleux.

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  2. Voilà les mots qui m'ont manqués, puisque j'ai vécu exactement la même chose. C'est drôle, j'ai l'impression que ces mots m'ont permis de faire le deuil de l'échec de mon accouchement. Je ne suis pas la seule. Voilà pourquoi j'angoisse à l'idée d'avoir un second enfant. Je me console en me disant que sans cet acte, Capucine ne serait pas en si bonne santé, ou pire.
    Merci, du fond du coeur.

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  3. Je crois que je vais envoyer les liens de tes billets à ma belle soeur sage-femme.
    C'est plein d'émotion, de colère rentré et de dignité. Bravo!et merci pour toutes celles qui pourront te lire et mieux anticiper cette fameuse "complication".

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  4. En lisant ton texte mon coeur se serre encore et encore, je n'ai pas vécu ça (hormi la femme qui crie dans la salle d'à côté et l'envie de me sauver!) mais tu le racontes si bien qu'on se met à ta place, je croise les doigts pour que petit deuz arrive "autrement" :o)))

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  5. Merci encore...
    Vos mots sont si justes, ces mots qui m'ont manqués il y a 6 ans et qui me manquaient encore aujourd'hui...
    Beaucoup d'émotion.

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  6. Ecoute, j'ai souri et puis, j'en ai pleuré, en te lisant. à deux ou trois détails, j'ai vécu la même chose pour le premier, sauf qu'à la fin il a fallu que je demande pour qu'ils me le donnent, enfin, une fois dans la chambre.
    Chaque naissance est différente, c'est sûr, et je te souhaite une belle naissance pour ton deuxième enfant....

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  7. Quel courage tu as d'écrire ce beau texte... Je ne te cache pas que c'est très, très dur pour moi de le lire (oui, je sais, rien ne m'y oblige). Je suis sûre que la naissance de Marius sera très différente!

    Je peux juste te dire quelque chose? Vous avez eu de la chance de pouvoir vous retrouver pendant 2 heures tous les trois. Et tu as de la chance d'avoir pu prendre Jules sur ton ventre... Moi je n'y pas eu droit...

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  8. et bien que dire : j'y étais ! merci d'avoir partagé ce moment intense.

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  9. la césarienne pour adèle s'est fait dans l'urgence dans des conditions très glauques (imagine, on te recoud alors que la péri ne fait plus effet !) puis, on t'annonce que tu n'auras peut-être pas d'autre enfant et pourtant...
    la césarienne pour émile (programmée) s'est très bien passée, mickaël était avec moi, tout s'est passé très vite et je n'ai même pas eu de baby blues ensuite.

    reste cette frustration indicible de ne pas avoir su accoucher comme tout le monde.

    ps : le plaid avance bien !

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  10. ...
    je ne sais pas quoi te dire. Je te lis, et j'ai une faille, béante, à la place du coeur.

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  11. Quel beau texte.....
    Je suis complètement d'accord avec toi: on n'est pas du tout préparée pour une césarienne en urgence, et du coup la chute est rude....
    J'ai vécu ça pour mon premier accouchement, mais pour le deuxième, malgré le fait que Balthazar s'annonçait être un gros balèze (2,4 kg à l'écho du 3ème trimestre et 4,030 kg au final), mon obstétricien m'a laissé accoucher par voie basse et tout c'est super bien passé !

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  12. Ah encore une fois ça me touche énormément, j'espère ne pas avoir à vivre ça et en même temps grâce à toi je vois bien à quoi ça peut ressembler...
    POur Marius ils font quoi alors ? ils programment une césarienne ou pas ?

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  13. Mon ventre se tord d'émotion à ta lecture. Il y a beaucoup de silence autour de l'enfantement et pas que de la naissance. J'ai la chance d'avoir vécue ce qu'on appel une "belle naissance" sans médicalisation, c'est ce dont j'avais le plus peur, plus encore que la douleur. Ton témoignage est poignant et et très intéressant. Nous sommes souvent démunis et mal préparer face à l'univers médicale, mais pas seulement. Aussi face à ce qui n'est pas une maternité idyllique dans le respect de la mère parfaite. Merci pour ce récit sensible parmi tant de silence.

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  14. mince alors, les derniers mots dénotent, c'était bien le mot joie tout à la fin. je vais donc attendre la suite...

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  15. J'ai vécu à peu près ça: dilatée à 8 après 20 heures de contractions le col décide de stagner. J'en peux plus, je veux mourir, pas de péri, jusque là je gérais mais je comprends où je vais et ça me fait flipper. L'obstéricien de garde entre me mets "deux doigts" comme il dit et m'annonce la césarienne comme un cow-boy. Je suis rasée et sondée devant mon mari, les cuisses écartées face à la porte ouverte. Je pars au bloc, seule, sans lui. Rachi. Coupée en deux, la tête qui sent et qui pense et le reste qui est comme absent. L'odeur de chair grillée, le bruit, la sensation des instruments sur le ventre. Le "floc" qui aspire le ventre puis ce petit cri de bébé. Cette bonne odeur, le goût et l'odeur de ma fille quand la sage-femme me la présente. Les mots d'amour qui coulent de ma bouche. Puis le départ vers son papa et moi toujours au bloc, on me referme. Ca parle vacances, bagnole, moi je pleure. J'ai tout râté, je n'ai pas su, mon corps est pourri, même pas capable. Une heure après je retrouve mon bébé et mon mari, tout heureux et moi je me sens juste vide, seule et triste. Elle me regarde, ça me fait rien. Je me sens laide, mauvaise. Puis, une petite étincelle, je chante, elle me regarde encore. Et puis elle rampe, elle tète et là, elle commence à tout réparer. Ma fille est formidable hihi!

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